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« Afrique Saxophonique », balade musicale sur le continent africain avec le Centre Musique – bibliothèque Mériadeck

Manu Dibango s’est éteint le 24 mars dernier, plongeant le monde de la musique dans une grande tristesse. Plutôt que de revisiter son extraordinaire et longue carrière, nous avons préféré ici lui rendre hommage à travers une balade “saxophonique” sur le continent africain.

L’occasion de (re)découvrir des musiciens fabuleux, qui du Mali à l’Ethiopie, en passant par le Sénégal, le Nigéria, la Guinée, le Congo ou l’Afrique du Sud, ont souvent inventé de nouveaux langages, un pied dans la tradition et les oreilles tournées Outre-Atlantique. Toutes ces musiques sont le fruit de mélanges fascinants et d’histoires passionnantes. Leur modernité nous raconte aussi bien la souffrance de l’oppression, l’insouciance de l’indépendance, la mémoire des racines, que la joie de la danse.

Au menu : de l’afrobeat, de l’ethio-jazz, de la rumba, de la musique afro-cubaine, de la musique mandingue, de l’afro-soul, du jazz et du disco-boogie ; quelques labels très recommandables ; du souffle forcément, du groove souvent, de l’émotion assurément.

 

Fania All Stars & Manu Dibango : Soul Makossa (live at San Juan 1973)

Honneur à Manu Dibango, dont le classique Soul Makossa est ici interprété avec la crème des musiciens de la Fania. Cette maison de disques incarne LA bande son du New-York latino des 70’s, où des musiciens issus de l’immigration cubaine, porto-ricaine, panaméenne etc…, ont opéré une fusion jouissive entre musiques latines (mambo, rumba, guaracha…) et le rock, le jazz, le funk ou la soul. Cette séquence de 1973, extraite d’un concert donné à Porto Rico, rassemble un casting XXL, accueilli comme les Beattles, tout en moustaches, rouflaquettes et cols à pelles à tarte. Le sax de Manu Dibango, plus classe que jamais, fait monter d’un cran supplémentaire une température déjà bouillante.

The Ex & Getatchew Mekuria : Shellelle (live at Rio Loco! Festival, 17/06/2011)

Surnommé le Negus du sax éthiopien (ténor), G. Mekuria est une référence incontournable de l’éthio-jazz. Directement inspiré de la tradition guerrière Shellela, son style s’apparente à une sorte de free jazz à la sauce éthiopienne. Au terme d’une carrière prolifique à Addis-Abeba, il collabore et tourne avec le groupe post-punk néerlandais The Ex, dont la basses lourde, les fûts rageurs et les riffs acérés sont indubitablement prêts pour la bataille !

Mankunku Quartet : Yakhal’ Inkomo (1968)

Porté par le saxophone ténor Winston « Mankunku » Ngozi, ce disque est un chef d’œuvre du jazz sud-africain, souvent comparé à « A Love Supreme » de John Coltrane. Bien que vendu à plusieurs centaines de milliers d’exemplaires en Afrique du Sud, il est pourtant longtemps resté méconnu en Europe à cause de l’Apartheid, que W. Ngozi a très largement subi, jouant notamment souvent sur scène, caché derrière un drap. Chaque note est ici imprégnée des brutalités du régime. Yakhal’ Inkomo signifie d’ailleurs “le beuglement du boeuf amené au sacrifice”. Réédité par le label Jazzman en 2017, cet enregistrement donne à entendre la musique d’un peuple qui souffre et celle d’un saxophoniste ébranlé par la mort de son idole, John Coltrane, à qui ce morceau est un vibrant hommage.

Dudu Pukwana : Baloyi, (1973)

Contrairement à son compatriote Winston Ngozi, le saxophoniste alto Dudu Pukwana quitte l’Afrique du Sud et son régime ségrégationniste au milieu des années 60. Il trouve alors refuge en Angleterre, où il fréquente assidument le milieu free jazz. In the townships est un des sommets de sa riche discographie. Sur ce titre au riff funky, le sax et la trompette de Mongezi Feza montrent une indubitable complicité, portée par des choeurs habités et énergisants.

Rail Band : Koro Koni (1970-1972)

Pour l’amateur.ice de musique africaine, le cv du malien Tidiani Koné a tout de la playlist idéale : fondateur du Rail Band du Buffet de la Gare de Bamako en 1970 (où passèrent notamment le chanteur Salif Keita ou le guitariste virtuose Djelimady Tounkara), il a également dirigé le Biton de Ségou (orchestre sublime, sacré plusieurs fois meilleur groupe du Mali dans les 70’s) et joué avec le Tout Puissant Orchestre Poly Rythmo de Cotonou (véritable machine à danser du Bénin). Multi-instrumentiste de grand talent, Tidiani Koné est un saxophoniste hors-pair, dont le jeu majestueux accompagne ici à la perfection les envolées de Salif Keita.

Dexter Johnson et le Super Star de Dakar : Angelitos Negros (1969)

Réédité en 2014 par le label grec Teranga Beat, ce Live à l’Etoile du saxophoniste ténor nigérian Dexter Johnson accompagné du Super Star de Dakar est un enregistrement exceptionnel. Tout d’abord, car Dexter Johnson est un soliste au timbre inimitable, à la fois chaud et élégant. Ensuite, parce qu’à l’instar du célèbre Star Band, dont il est une émanation, le Super Star incarne l’effervescence du Dakar cosmopolite et nocturne des 60’s. Enfin, parce que cet enregistrement contient son lot de pistes incroyables, à l’image de ce classique afro-cubain, nostalgique à souhait.

Orchestra Baobab : Souleymane (1973-1976)

Issu d’une lignée de griots malinké, Issa Cissokho est un grand monsieur du saxophone africain (ténor et alto). Il a dirigé notamment l’Orchestra Baobab, dont il fut d’ailleurs l’un des fondateurs au début des 70’s. Véritable institution au Sénégal, le Baobab fait basculer la musique du pays dans la

modernité, en mêlant aux folklores locaux (wolofs, casamançais et mandingues), rythmes cubains et influences noires américaines. Dans les années 80, Issa Cissokho a aussi fait partie du Super Etoile de Dakar de Youssou Ndour, un autre orchestre culte du pays. Il réintègre le Baobab au moment de sa reformation au début des années 2000, où il joue jusqu’à sa mort en 2019.

Mamadou Barry (feat. Sia Tolno) : Sumbouya (2009)

Instituteur devenu musicien par passion, Mamadou Barry a connu l’âge d’or de la musique guinéenne. Chef d’orchestre, percussionniste, flûtiste et saxophoniste virtuose (alto, soprano, ténor), il a dirigé et joué dans plusieurs grands orchestres, subventionnés par le régime de Sékou Touré, pour faire émerger dans la jeune république guinéenne un sentiment d’unité et de fierté nationales. Véritablement transcendés par leur mission, ces musiciens gravèrent ainsi sur le label d’état Syliphone une des musiques les plus authentiques et originales du continent africain. Cette période aujourd’hui révolue, Maître Barry continue de se produire et de transmettre son savoir-faire aux plus jeunes, comme sur ce Soumbouya, issu de son premier album Nya, sur lequel la chanteuse Sia Tolno lui donne magnifiquement la réplique.

Fela : V.I.P. (Pt. 1) (Live in Berlin, 1978)

On ne présente plus Fela Anikulapo Kuti. A l’instar d’un Bob Marley, le Black President est plus qu’un simple musicien. Opposant charismatique à la dictature militaire au Nigéria, Fela a utilisé la musique comme une arme pour dénoncer la corruption des élites et décrire le quotidien du petit peuple. A la fois saxophoniste, chanteur et chef d’orchestre, il est la figure emblématique de l’afro-beat, synthèse de highlife ghanéen, de rhythm and blues, de soul, de jazz ou de funk. Soit un groove entêtant, répétitif et cuivré, dont cet extrait de concert donne une illustration particulièrement efficace. Pour les plus motivée.e.s, une la deuxième partie de l’extrait est disponible sur Youtube.

Orlando Julius with The Heliocentrics : Jagua Nana (live at Banlieues Bleues, 05/04/2013)

Pionnier de l’afro soul, Orlando Julius est un géant de la musique nigériane. A la fois saxophoniste alto, flûtiste et chanteur, il a initié dès le début des 60’s un mélange extrêmement moderne d’éléments rythmiques yoruba et de soul, enrichi par la suite de funk et de disco. Mentor de Fela, à qui il apprit à jouer du saxophone, il a également beaucoup influencé James Brown. Redécouvert par des « diggers » passionnés dans les années 2000, il a collaboré en 2013 avec le collectif de jazz psychédélique londonien The Helliocentrics. A noter la présence sur scène ce jour-là de Shabaka Hutchings, saxophoniste anglais surdoué à découvrir d’urgence.

Tunde Mabadu : Viva disco (1980)

Tunde Mabadu, chanteur et saxophoniste alto / ténor, n’est certainement pas la figure la plus connue de cette sélection. Son oeuvre se limite à deux albums enregistrés au tournant des 80’s, en pleine période disco-boogie au Nigéria (une forme de disco incluant des éléments électroniques). Avant d’être réédité en 2018 par le label anglais Mr. Bongo, son Viva disco sorti en 1980 était pourtant l’objet d’âpres convoitises parmi les collectionneurs de vinyles. A l’écoute de ce titre éponyme, imparable sur un dancefloor, on comprend aisément pourquoi.

Ry-co Jazz : Koumbele (1971)

Jean-Serge Essous incarne à lui seul un pan entier de la musique congolaise. Flûtiste, clarinettiste, chanteur et saxophoniste, il est le créateur du mythique OK Jazz avec le guitariste Franco et a également dirigé les Bantous de la Capitale. Autrement dit, deux formations parmi les plus emblématiques de la rumba congolaise. On le retrouve ici avec le RyCO Jazz, dont la rumba eut un grand retentissement aux Antilles, préfigurant notamment le zouk de Kassav. Du soleil pour les oreilles.